Il y a des lectures qui tombent pile au bon moment. Ce livre-ci, par exemple.
Cette lecture accompagne particulièrement bien un cours que je dois suivre actuellement, dans le cadre de mon baccalauréat en sexologie. Le cours s’intitule «La sexualité de l’enfant et du préadolescent». Il offre un son de cloche un peu plus subjectif. Et le tout est fait d’une façon plutôt originale.
Parler franchement et sans tabous
L’auteur, Patrick Doucet, est enseignant en psychologie au Collègue Marie-Victorin. Dans cet ouvrage, il partage avec nous les discussions proposées dans ses classes et les réactions des étudiant.e.s. Car celles-ci sont nombreuses. Disons que le prof en question ne les ménage pas: il leur parle de sexualité de façon très ouverte et décomplexée, en les « challengeant » à plusieurs reprises.
Il faut dire que le sujet est délicat. En effet, on aime rarement accoler les mots «sexualité» et «enfant» dans une même phrase. C’est un peu normal. Notre vision occidentale de la sexualité et notre éducation sexuelle (ou l’absence de) font en sorte qu’un grand tabou persiste autour de la sexualité des enfants. Sans oublier le fait qu’en matière d’éducation sexuelle, on ne mérite pas de médaille! Mais Doucet aborde le sujet sans gêne et d’une façon extrêmement brillante.
Des exemples concrets
L’essaie débute sur la mise en situation suivante. Un père est avisé par une éducatrice que sa fille, 18 huit mois, se «touche beaucoup». Alarmés, les parents tentent de comprendre ce qui se passe. L’éducatrice ne les rassure pas en tentant de trouver une explication. Selon elle, ce comportement vient probablement d’une ou l’autre de ces causes. Soit 1) la fillette a vécu une agression sexuelle; 2) elle vit de l’anxiété créée par une relation insécurisante avec ses parents et/ou 3) elle aurait peut-être un trouble neurologique. Bref, rien pour rassurer les parents!
D’autres exemples cités sont aussi troublants et questionnent nos idées préconçues sur la sexualité des enfants. Doucet utilise ces situations pour mettre la table et poser des questions. Par exemple: quel est le type de formation reçue par les adultes intervenants auprès des enfants? Conséquemment, quel genre d’éducation sexuelle est offerte à ces enfants?
Un univers encore méconnu
Il faut dire que peu d’études ont pu se pencher spécifiquement sur la sexualité des enfants, et ce, pour plusieurs raisons:
- On a longtemps pensé (et même encore aujourd’hui) que les enfants n’ont pas de sexualité;
- Plusieurs parents estiment qu’impliquer des enfants dans une étude sur la sexualité les incitera à pratiquer des activités à caractère sexuel;
- Les études liées à la sexualité des enfants touchent surtout les phénomènes d’abus;
- Le sujet est délicat et peu de parents sont enclins à faire participer leurs enfants dans ce type d’étude;
- Les comités d’éthique accordent difficilement leur accord pour ce type d’étude;
- Pour analyser la sexualité des enfants, on peut interroger des adultes et des adolescent(e)s sur leurs expériences vécues, mais la mémoire est faillible et donc, pas à 100% fiable;
- On analyse la sexualité des enfants avec un regard d’adulte. Pourtant, les gestes posés par les enfants n’ont pas du tout la même connotation. En effet, chez l’enfant, c’est une question de curiosité, de plaisir, une recherche de réponses et des enjeux d’identification. Tandis que chez l’adulte, on parle plutôt de génitalité, de rapport de séduction, de notion d’engagement relationnel et aussi de procréation. Pas du tout la même chose!
Même en 2016, il y a encore beaucoup de chemin à faire!
Des discussions franches et honnêtes
Mais revenons à nos moutons. Doucet recrée les discussions entendues dans ses cours, discussions avec lesquelles il confronte ses élèves dans leur façon de voir la sexualité et leurs préjugés. À l’aide de questions et de mises en situation (parfois peu évidentes), il les déstabilise pour mieux les amener à réfléchir autrement. Et nous aussi, lecteurs, par le fait même. Il n’hésite pas non plus à se mettre en scène. Par exemple, il raconte l’anecdote suivante:
«Un jour, deux garçons de sept ou huit ans sont dans l’une de ces remises que l’on trouve dans les arrière-cours. Les deux garçons décident d’un commun accord de baisser leur pantalon, ils ont tous les deux une érection, tour à tour ils s’embrassent les fesses et l’un deux a un orgasme. Est-ce que c’est normal?»
La vie sexuelle des enfants – Patrick Doucet
«Ben non, répond aussitôt une étudiante qui ne sait plus trop comment s’opposer à mes suggestions «indécentes». On ne fait pas ça à cet âge-là.»
«Oui, c’est ce que vous me dites depuis le début. Mais ces deux garçons l’ont pourtant fait à cet âge-là. Et, pourrais-je ajouter, j’en suis d’autant plus certain que je viens de vous raconter ma première expérience.»
Les élèves ont souri et moi aussi. Ça prend du guts, comme on dit. C’est ainsi que l’auteur construit son livre, en nous mettant toujours en perspective les choses, par des expériences (évidemment pas toutes vécues par lui!) et des cas précis et beaucoup de contre-exemples pour brasser les idées reçues. À la place de nous faire une liste plutôt drabe d’études de cas, de citations et de théories, il nous oblige à tout remettre en perspective et, surtout à dédramatiser. Car, ce sujet, au final, n’est ni plus ni moins qu’un besoin vital de l’être humain. Et ça, qu’on le veuille ou non.
À lire avec ouverture
Le livre de Doucet en fera grimacer quelques-un.es, c’est certain! En effet, lire, entre autres, que des enfants en bas âge ont des relations sexuelles complètes, c’est évidemment troublant. Mais il y une grande intelligence dans la façon d’amener les sujets, aussi délicats soient-ils. C’est toujours réfléchi et appuyée par des recherches exhaustives. On en sort un peu secoué, mais avec l’impression d’avoir pu ouvrir plus grands les yeux sur une réalité bien concrète. Réalité avec laquelle il faudrait un peu plus composer et moins se la cacher. À quand les cours de biologie et d’éducation sexuelle obligatoires (jusqu’au cégep minimum!)?
Je vous invite à lire cette autre critique du livre de Doucet dans Le Devoir (où l’on souligne qu’un des chapitres qui attaque Freud jette un peu le bébé avec l’eau du bain. J’avoue ne pas avoir été trop dérangée par cet aspect, mais il est vrai que la critique d’être «non-scientifique» souvent faite à Freud empêche parfois de voir les avancées psychanalytiques qu’il a permis de faire…)