Une chronique pour Moteur de recherche (ICI Première) dans laquelle je me penche sur la sexualité des ados et des jeunes adultes.
La réponse? Oui! C’est en partie vrai. Et, dans un sens, non. C’est juste différent.
Un portrait pas si alarmant
On imagine toujours la sexualité des ados comme débridée. Que l’hypersexualisation les rend complètement vulnérables. Mais les recherches sur leur sexualité ne montrent pourtant rien d’alarmant. L’étude Pixel, réalisée en 2017 sur près de 3400 jeunes Québécois et Québécoises de 17 à 29 ans, explique bien que les jeunes ne sont pas plus précoces que les générations précédentes. Et, non, le sexe anal n’est pas si répandu que ça. Une chose importante par contre: les ITSS (infections transmissibles sexuellement et par le sang) au Québec touchent plus les jeunes de 15 à 34 ans. S’il y a plus de cas d’ITSS dans cette tranche d’âge, on peut se demander s’il y a vraiment une baisse d’intérêt pour le sujet chez les jeunes. Des hypothèses: peut-être qu’il y a simplement plus de cas déclarés. Ou pas suffisamment de prévention. Un manque d’éducation à la sexualité, peut-être? #soupir
Une récession sexuelle?
La question a émergée suite à la lecture d’un très long dossier du magazine The Atlantic, publié en novembre 2018: « The Sex Recession: Why Are Young People Have So Little sex?» (NDRL: La récession sexuelle: pourquoi les jeunes gens ont aussi peu de sexe?). On parle ici surtout de ce qui se passe aux États-Unis. Mais le portrait brossé inclut aussi la Suède et le Japon qui connaissent également cette baisse d’activités sexuelles chez les jeunes. Est-ce que ça peut s’appliquer au Québec aussi? On peut être porté à croire que oui, parce qu’on a ici affaire avec une génération dite «prudente» et très conscientisée. Consommation de drogues et d’alcool en baisse, comportements à risque moins fréquents. Mais, encore là, tout dépend: chez les jeunes LGBTQ+ ou les populations autochtones, ça peut différer. Par contre, certains parallèles peuvent être faits entre l’étude en question et les comportements des jeunes Québécois.es.
Des résultats qui questionnent la sexualité des ados*
Parmi les constats, on note qu’entre 1989 à 2014, on a vu une baisse du nombre de relations sexuelles, passant de 62 fois par année à 54 fois. Depuis 1991, le nombre des jeunes de 14-15 ans (secondaire 3) sexuellement actifs.ves a baissé de presque 40%. Ces mêmes jeunes vivent, pour la plupart, leur première relation sexuelle un an plus tard que la génération X.
De plus, environ 85% des jeunes de la Génération X et les baby-boomers ont fait des rencontres (des date!) dans un but de relations amoureuses/sexuelles. Les jeunes d’aujourd’hui préfèrent texter, interagir sur les médias sociaux et vont plutôt éviter les rencontres face à face. Avec l’offre actuelle côté réseaux sociaux et plateformes web, ça ne s’est pas nécessairement amélioré. Une étude de 2018 réalisée sur 11 000 adolescent.es en Angleterre fait justement des liens entre les médias sociaux et le moins grand intérêt pour le sexe. On pointe également du doigt Netflix et les jeux vidéos.
Un constat plutôt généralisé
Cela ne touche pas que les ados. Les personnes les plus affectées par le déclin de la sexualité? Ils ont dans la cinquantaine et des enfants en bas âge, selon une étude intitulée « Decline in Sexual Frequency Among American Adults, 1989-2014 »,parue dans The Archives of Sexual Behavior. Pour la sociologue Pepper Schwartz de l’Université de Washington, la raison première est… la fatigue. «What you need for a sex life is energy, focus and time and the right mood,” she said. “If I’ve just run a marathon, is the first thing I want to do have sex? Probably not.»**
Cela dit, plusieurs pistes s’offrent à nous pour comprendre ce qui pourrait motiver les ados et jeunes adultes à tourner le dos à la sexualité.
La fameuse porno
Facile à cibler, accusée de tous les maux, la pornographie a tout de même sa part de responsabilité. La pornographie est présente partout, accessible facilement et elle permet une satisfaction rapide des besoins de base. L’augmentation de la pratique de la masturbation n’y est pas étrangère non plus. Certains mouvements sur le web, comme le #NoFap, qui proposent de faire, pendant un certain laps de temps, une «cure» de masturbation pour retrouver l’excitation sans porno et, selon certain.e.s, une meilleure santé et forme physique.
Et même s’il n’y a pas encore de preuves scientifiques qui indiquent que la pornographie crée une dépendance, certains scientifiques font une association entre consommation de pornographie et une hausse importante des problèmes érectiles chez les jeunes hommes. Selon cette théorie, l’interaction humaine complexie la chose quand on est habitué.e de gérer un certain scénario masturbatoire. Mais cette position est critiquée et il n’y a pas réellement de consensus.
Le célibat en hausse, le mariage en baisse et les… Tanguy!
Contrairement à la génération X et les baby-boomers, poussé.es à se marier beaucoup plus tôt et à fonder une famille, les gens demeurent célibataires plus longtemps. Ces gens choisissent même volontiers le célibat. (Il n’est pas subi.) Par exemple, en 2015, on comptait 35 millions d’Américain.es qui vivaient seul.es. Les jeunes se marient de moins en moins également. Quand on n’a pas la pression de devoir créer une cellule familiale ou l’obligation «conjugale» à remplir, c’est un facteur de moins pour pousser à avoir une sexualité active. Selon une étude de 2016 du Pew Research Center, les jeunes américain.es de 18 à 34 ans ne vivent plus avec un.e partenaire, mais… avec leurs parents! Ce qui rend la vie sexuelle un peu plus difficile à gérer!
À lire aussi: Comment parler de consentement sexuel?
Les médias sociaux
Prennent un temps fou dans nos vies. Les jeunes ne sont pas en reste et sont scotché.es à leur téléphone. En fait, on l’est tous.tes!
La génération «clean» ou «prudente»
Si l’on regarde juste les YouTubeur.euses les plus populaires, beaucoup d’entre eux.elles prônent de bonnes et saines habitudes de vie. Entre les jus détox, les soins de peau, les poses de yoga, les conseils nutrition, pour mieux organiser sa vie et les contenus qui font du bien, on est devant une génération clean qui se détourne de l’alcool, des drogues et aussi… du sexe. Elles et ils ont de nombreuses stimulations qui les tiennent occupé.es et qui les divertissent; moins besoin de combler un vide avec l’une ou l’autre des options précédentes, donc. Il y a même des mots-clics populaires comme #SoberIsSexy ou #SoberLife.
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Tinder, ça passe ou ça casse?
Une autre théorie est intéressante. Avec plusieurs applications de rencontre, dont Tinder, c’est la beauté physique qui gagne. Si on ne correspond pas à certains critères de beauté, ça glisse à gauche, malheureusement. Donc, moins de chances – pardonnez-moi l’expression – de scorer. #mononc
La santé mentale en déclin
Anxiété, stress, dépression: on évoque souvent ces mots pour parler des millénariaux.ales. On accuse souvent les médias sociaux d’être en cause dans cette détresse psychologique. Il peut y avoir des effets négatifs sur la confiance et l’estime de soi. Cela peut aussi augmenter l’effet de solitude. Mais plusieurs considèrent que ça permet, au contraire, d’être connecté.e.s et lié.e.s à leurs ami.e.s et groupes sociaux. Donc, tout n’est pas mauvais là-dedans. Mais, rappelons-nous que ce sont des générations aux prises avec une planète qui va mal. Elles et ils auront sur les épaules un héritage écologique désastreux et les perspectives d’avenir ne sont pas si enthousiasmantes. Disons qu’on est en droit de se demander si ça peut jouer…
Quand le sexe fait mal
Pour plusieurs personnes avec un vagin, les douleurs lors d’un rapport sexuel, appelées aussi dyspareunies, sont importantes. Et ce ne sont pas des cas d’exception; c’est fréquent, même chez les jeunes femmes et les ados. Et on a aussi récemment vu des études importantes paraître sur les effets secondaires des contraceptifs hormonaux. Fait troublant, on a fait des liens importants entre contraceptif et dépression, particulièrement à l’adolescence. Pas pour rien qu’il y a une recrudescence des méthodes sans hormones pour éviter les effets systémiques sur le corps. Pensons aussi à la charge mentale. Elle n’est peut-être pas étrangère à cette prise de conscience que la contraception repose beaucoup sur les épaules des femmes cisgenres…
Consentement et #MeToo: un effet sur la sexualité des ados?
Dans notre ère #MeToo, alors que le mot consentement est partout, il y a nécessairement un impact chez les jeunes. Elles et ils peuvent ainsi mieux comprendre les limites et ne pas se laisser imposer des gestes et des pratiques sexuelles, et des relations sexuelles point, non désirées.
Parler ouvertement de sexualité, ça change la donne
Plusieurs parents ont peur de discuter de sexualité avec les jeunes. Par crainte d’initier quelque chose, par peur de «donner des idées» à leurs enfants. Mais , c’est prouvé: « les jeunes qui ont accès à des contenus en éducation à la sexualité sont davantage portés à retarder leur première relation sexuelle, préférant attendre le moment jugé le plus opportun.» Les discussions ouvertes sur les médias sociaux, les YouTubeurs.euses qui abordent les questions liées à la sexualité et les grands médias qui parlent de plus en plus de ces sujets jouent-ils un rôle? Probablement, mais, chose certaine, plus on en parle, plus ça éduque et conscientise.
La sexualité des ados en baisse: bonne ou mauvaise chose?
On pèse rapidement sur le bouton « alarme » quand on apprend que la sexualité est «menacée», qu’elle n’est plus le centre d’attention. Mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Par exemple, le taux de grossesse à l’adolescence a drastiquement baissé dans les dernières années. Les jeunes sont beaucoup plus au fait des différentes réalités concernant la sexualité oui, mais également l’identité, l’expression de genre, les orientations sexuelles et, on l’a dit plus tôt, le consentement.
Les jeunes ne sont peut-être pas moins intéressé.e.s par la sexualité, mais la voient différemment. En fait, on peut surtout comprendre que la sexualité est plus que jamais au cœur des discussions. Mais on l’appréhende autrement: avec plus de connaissances, de recul. Avec une grande importance mise sur les émotions, le vécu de chacun.e et, surtout, le plaisir! En fait, c’est avant tout un signe que les temps changent et qu’on doit simplement regarder cela avec une lunette différente de celle qu’on avait auparavant. On gagne certainement à apprendre de ces générations qui bousculent les idées préconçues sur la sexualité.
Pour aller plus loin
Une réponse au dossier de The Atlantic par Cosmopolitan: The Millennial Sex Recession Is Bullsh*t
Photo de une: Darya Skuratovich via Unsplash
* En fait, on parle ici plus largement des milléniaux ou, selon l’Office de la langue française, des millénariaux et millénariales. Ce sont celles et ceux qui sont né.es entre 1982 et 2005. On inclut ici aussi la génération Z, née vers la moitié des années 90. Donc, les ados ET les jeunes adultes.
** (Traduction libre: Ce dont vous avez besoin pour une avoir une vie sexuelle, c’est de l’énergie, du focus, du temps et une être dans le mood. Si êtes continuellement dans un marathon, est-ce que la première chose que vous voudrez sera du sexe? Probablement pas.)