SPOILERS : pour vous parler adéquatement de la série, il me faut malheureusement divulguer le contenu de certains épisodes. Libre à vous de poursuivre (ou non!) la lecture.
Je dois le dire: je suis tombée profondément en amour avec cette série télé. Pour une (trop rare) fois, on parle vraiment de sexualité, de façon frontale, en incorporant brillamment différents enjeux qui y sont liés (grossesse non désirée, orientation sexuelle, identité de genre, absence de désir, virginité, etc.), de la notion (cruciale!) de plaisir, et ce, tout en s’adressant au public de façon intelligente et sensible. D’ailleurs, les jeunes dépeint.e.s dans la série le sont aussi! On a tendance à l’oublier (ou carrément ne pas le savoir), mais on estime que, dès l’âge de 15 ans, le cerveau d’un ou d’une ado est très similaire à celui d’un ou d’une adulte. Donc, elles et ils sont tout à fait aptes à prendre part aux discussions sur la sexualité et à voir, concrètement, de quoi il en retourne. Et génial, on y parle aussi de féminisme! (En fait, la série est clairement féministe.) Petite liste des bons coups (et des moins bons) d’une série qui mérite attention.
On veut le “ouère”!
J’ai eu la chance de voir un peu l’évolution du projet On parle de sexe, diffusé à Télé-Québec. Dans les entrevues réalisées en amont avec des jeunes, le message qui revenait le plus souvent était: «on veut voir». Les jeunes veulent savoir «comment ça fonctionne» la sexualité. Pas pour rien que le premier porno est consommé, en moyenne, dès l’âge de 9 ans. C’est pas compliqué: ielles sont curieux.ses! Dans la série, la sexualité, on la voit. La toute première scène se passe d’ailleurs dans la chambre d’Adam, où lui et sa copine Aimee sont en pleine action et la caméra dévoile nudité et acte sexuel (joué, évidemment). D’autres scènes seront aussi explicites, sans jamais tomber dans la pornographie. Évidemment, la série ne pourra pas être utilisée directement en classe. Mais les parents peuvent amplement l’écouter, voir avec quoi ielles sont à l’aise et proposer d’écouter des éléments de la série à leurs ados.
Ciao masculinité toxique!
Dans cette série, tous les clichés de la masculinité traditionnelle (violence, virilité, physique masculin très stéréotypé, désir sexuel fulgurant, etc.) sont décortiqués et cela nous met en face d’un simple constat: la masculinité — telle qu’on l’imagine et qu’on la perpétue — est toxique et n’est pas garante de réussite sociale et personnelle. Au contraire! Pensons simplement à Adam, celui qui fait son dur à cuire, parce qu’il est mal dans sa peau et se questionne sur ses désirs. Bien sûr, on pourra dire que le personnage reprend le perpétuel cliché de l’homme qui violente un autre homme par peur de son propre désir homosexuel. Il demeure tout de même qu’on considère que la peur d’être soi-même homosexuel fait aussi partie des raisons qui poussent à avoir des comportements homophobes. En créant ce personnage, on peut voir ce qu’il en coûte pour un jeune homme de bonne famille, élevé par un père directeur d’école froid, distant et exigeant, d’assumer son désir et d’affronter le regard des autres. On espère en apprendre plus dans la saison 2 à ce sujet…
Il y a aussi la relation d’amitié entre Otis et Eric qui est touchante. Otis est blanc et hétéro, Éric est noir et gai. Le premier est un nerd plutôt coincé qui a des difficultés à pratiquer la masturbation et est toujours vierge. Le second est flamboyant et assumé, avec peu d’expérience en matière de sexualité. Les deux amis se parlent ouvertement de sexualité, s’épaulent dans les problématiques qu’ils rencontrent. Otis n’hésite pas à inviter son ami à danser un slow lors d’un bal de l’école pour célébrer leur réconciliation ou à s’habiller en femme avec lui pour aller à une représentation du film culte Hedwig and The Angry Inch. Et jamais on ne nous fait sentir que ça affecte la «masculinité» ou l’hétérosexualité d’Otis. Leur relation, bien qu’elle s’effrite à un certain moment pour revenir plus forte, est mutuellement respectueuse et ouverte à l’autre, peu importe les choix qui sont faits. Et c’est très rare qu’on puisse voir une amitié aussi sensible entre deux personnages masculins.
Lumière sur des réalités LGBTQ+
Il y a évidemment Éric, jeune homme noir et gai plutôt extraverti qui est présent dans chaque épisode, mais on s’intéresse également à la réalité d’un couple de femmes lesbiennes. Sans oublier Adam, qu’on ne peut tout à fait étiqueter (et c’est intéressant!). Pensons aussi à Ola, qu’Otis commencera à fréquenter à la fin de la saison et qui ne correspond pas vraiment aux stéréotypes féminins et qu’on pourrait même qualifier de queer. Lorsqu’elle arrive au bal, magnifique en tuxedo, on a envie de la serrer dans nos bras et dire «You go, girl!». Sans oublier les mamans de Jackson, le gars populaire de l’école, un couple homoparental qui a aussi ses difficultés. Pourrait-on en voir plus? Bien sûr. Mais côté ouverture, la série fait un pas très appréciable vers des réalités dont on entend trop peu parler.
Un touchant moment de solidarité féminine
Apprendre aux filles à compétitionner entre elles est une rengaine qu’on voit trop souvent dans les séries et films pour ados. Et c’est d’une tristesse incroyable, parce que les filles peuvent être incroyablement solidaires. Dans une scène poignante, on montre avec force et de façon très touchante qu‘elles sont capables de s’épauler. Et c’est vraiment très beau.
Tout n’est pas parfait…
Même si j’ai ADORÉ la série, je ne peux passer sous silence certains petits bémols.
Le point de vue de l’homme blanc cis
Il faut le dire: la série est basée sur le point de vue d’un jeune homme blanc cisgenre hétérosexuel. Côté représentativité, on pourra repasser. Cela dit, Otis est avant tout — et selon moi — une sorte de catalyseur pour faire découvrir les réalités de plusieurs jeunes autour de lui. Et, chose que j’ai beaucoup appréciée, c’est un personnage qui met à mal beaucoup de clichés habituellement retrouvés dans la représentation de la masculinité. On est loin du mâle alpha qui mansplain sa réalité à tout un chacun. En fait, après réflexion, je trouve qu’on en apprend assez peu sur Otis et beaucoup plus sur les personnes qu’il côtoie.
Sortir des clichés liés au métier de sexologue
Le personnage de la mère sexologue, jouée par Gillian Anderson (et il s’agit d’un excellent casting à mon sens!), ne sort visiblement pas des clichés associés à ce métier: une femme attirante, sexy et lascive; une maison remplie à craquer de représentations sexuelles et phalliques; un mariage raté qui l’a laissée amère et incapable d’entrer dans une relation intime avec un autre homme depuis; une envie irrépressible de parler de sexe, même dans des moments inopportuns et, tout ceci sans compter sa propension à vouloir tout surveiller de la vie sexuelle de son garçon Otis.
Oui, de par son métier, un.e sexologue sera certainement plus à l’aise de discuter ouvertement de sexualité. Par contre, cela ne veut pas dire que ça se fait n’importe quand, n’importe comment et surtout pas en mettant mal à l’aise les gens présents.
Des corps normatifs
Côté normativité, la série va plus loin en y intégrant des réalités LGBTQ+, mais on repassera côté diversité corporelle. La plupart des jeunes mis en vedette correspondent assez bien aux standards de beauté habituels. Si on sort des clichés, les personnages sont alors présentés comme des weirdos. Pensons à la fille gênée qui invite un des gars populaires de l’école ou, encore, à Lily, la jeune musicienne qui fait de la BD spaceporn. La seule fois où l’on verra de la nudité avec un corps non normatif (je n’aime pas l’expression «atypique», c’est le mieux que j’ai trouvé), c’est lorsque Lily aura une première relation sexuelle avec un jeune homme de l’école. Par contre, cette relation sexuelle est présentée comme prenant place dans l’univers bédéesque et fantasmé de la jeune femme qui se déguise pour l’occasion, ainsi que son compagnon. Leur sexualité est donc représentée comme marginale. En même temps, c’est aussi une façon intéressante d’aborder le fait que plusieurs personnes aiment initier des jeux de rôle dans la sexualité…
Exit les clichés lesbiens, please!
Dans la série, un couple de femmes lesbiennes éprouve des difficultés au niveau de sa sexualité. L’une des deux femmes du couple ne ressent aucun plaisir et s’emmerde royalement au lit. Évidemment, lorsqu’on les voit «en action», on tombe dans l’inévitable cliché des ciseaux. La réalité des femmes homosexuelles est plus diverse que ça et il arrive trop souvent qu’on décrive très mal la sexualité lesbienne. On devrait en profiter pour y remédier, tant qu’à faire une série aussi ouverte sur d’autres propos touchant la sexualité dans son ensemble.
Banaliser la sexothérapie?
Plusieurs collègues en sexologie ou carrément sexologues ont pointé du doigt le fait que ça banalisait la sexothérapie. Je comprends l’idée: on forme des sexologues et ce n’est pas pour rien, car ça demande une solide éducation et des connaissances poussées non seulement en psychologie, mais aussi en relation d’aide, en biologie et j’en passe (beaucoup). Je comprends qu’on ne peut pas s’improviser sexologue (sinon, que ferais-je actuellement à étudier là-dedans, dites-le-moi!), mais on parle ici d’une série de fiction qui, en huit épisodes, installe une dynamique relationnelle qui permet d’aborder différentes problématiques sexologiques. C’est un prétexte pour faire parler des jeunes de leur sexualité, de ce qu’ils ressentent, de ce qu’ils vivent. Au contraire, je pense que c’est une très belle façon de mettre de l’avant le fait que la sexualité, ça s’apprend et ça se discute. Et ça, c’est déjà géant! J’essaie de me rappeler, mais de mon expérience, jamais je n’ai vu de série qui permettait aux jeunes d’être imparfait.e.s, côté sexualité. Qui mettait autant l’emphase sur le plaisir et le respect. Tout est fait pour montrer que, même adulte (en référence à la mère d’Otis qui finit par apprendre elle-même à baisser la garde et expérimenter), la sexualité évolue, change, s’explore et s’apprivoise. Et que c’est à refaire avec chaque nouvelle personne qu’on croise. Et, chose très importante: Otis est ouvert à toutes les réalités qui s’offrent à lui et il ne tombe jamais dans le jugement et compose avec la réalité de chaque personne. Et son message est souvent très sain: sois toi-même, écoute-toi, explore avec ce que tu es. Ça me semble pas si mal, non?
Et, au final?
Vous comprendrez que j’ai beaucoup aimé cette série qui, je crois, fait un pas dans la bonne direction. Mais la sexualité est un sujet complexe et personne n’aura jamais tout bon ou tout vrai. Ça n’existe juste pas; il y a trop de réalités diverses et c’est un sujet en perpétuelle mouvance! Malgré les bémols — et je comprends pourquoi on peut y voir des problématiques : il y en a! — j’estime que Sex Education fait un super travail de fond pour décomplexer les jeunes face à la sexualité et ouvrir un dialogue sur ce sujet trop important qui touche tout le monde. Alors, je vous le recommande chaudement. Écoutez-le et parlez-en avec les jeunes. Discutez de ce que vous y voyez, de ce qui vous chicote, de ce qui vous questionne. Je pense que la série est aussi là pour ça.
En résumé, pourquoi Sex Education peut être un bel outil d’éducation à la sexualité? Parce qu’on y parle…
- De respect;
- D’exploration;
- D’écoute;
- D’acceptation;
- De réalités sexuelles diverses;
- De problématiques sexuelles réalistes pour les jeunes;
- De plaisir!
Bref, visionnez la série et on s’en jase? 🙂