De belles promesses
Depuis plusieurs années, on entend parler de contraception masculine. Il n’est pas rare de voir les grands journaux proposer des titres accrocheurs laissant présager des avancées prometteuses. Mais les années passent et… nada. En effet, alors que la contraception féminine connaît de nombreuses variantes et formes, celle qui s’adresse à la gent masculine arrive bonne dernière. Et ce, même si on répète sans cesse qu’une révolution s’en vient. Le temps file, 2021 est à nos portes, et les dernières recherches en cours ne débouchent pas encore. On est en donc droit de se dire: coudonc, il se passe quoi avec la contraception masculine? Je vous propose donc un petit trajet historico-médical et scientifique pour nous situer un peu.
Ce qui a existé
Au moment même où la pilule contraceptive est mise à l’essai sur des femmes* dans les années 50, on fait la même chose avec les hommes. En effet, l’inventeur de la fameuse pilule contraceptive, Gregory Pincus, installe ses premiers tests cliniques dans un hôpital psychiatrique, le Worcester State Hospital. Plusieurs raisons expliquent ce choix singulier. De 1) le directeur de l’hôpital accueille à bras ouverts l’argent offert par l’une des mécènes de Pincus, Katharine McCormick, jeune héritière d’une immense fortune, aussi biologiste et suffragette qui lutte pour les droits et libertés des femmes. De 2), les participant.es (32 au total) n’ont pas à donner leur consentement.
C’est à ce moment qu’on donne aussi le traitement hormonal à 16 hommes. Mais les mécènes de Pincus, Katharine McCormick et Margaret Sanger – reconnue mondialement pour sa contribution à la création du tout premier contraceptif oral – mettent un frein. Elles avertissent Pincus qu’elles n’ont pas confiance dans les hommes pour gérer la contraception. Et que leur but est de avant tout de donner une liberté aux femmes de faire ce qu’elles veulent de leurs corps et leur fertilité. On abandonne donc ce pan de l’étude.
Les recherches se poursuivent et les tests cliniques aussi, mais en misant seulement sur le contrôle de fertilité des personnes de sexe féminin. Il faut se rendre jusque dans les années 70 pour voir apparaître un premier traitement contraceptif pour hommes – déjà existant depuis les années 50 et considéré comme sécuritaire – qui ne sera pas sous forme de comprimé, mais plutôt d’injection intramusculaire. Il contient de l’énanthate de testostérone qu’on injecte de façon hebdomadaire jusqu’à l’oligospermie, c’est-à-dire une présence très faible de spermatozoïdes dans le sperme, voire l’azoospermie, c’est-à-dire l’absence totale de spermatozoïdes dans le sperme.
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Des avancées scientifiques pour la contraception masculine
Les premières études sont concluantes. Mais ce sera dans les années 1990, quand l’OMS (Organisation mondiale de la santé) met sur pied deux grandes études, l’une en 1990 et l’autre en 1996, pour tester l’efficacité du traitement sur plusieurs mois et un plus grand nombre d’hommes, qu’on pourra constater qu’avec «l’administration d’androgène exogène – i.e une source externe de stéroïde – l’efficacité contraceptive est aussi élevée que celles des méthodes contraceptives féminines.»
Malgré des résultats probants, le produit n’est pas commercialisé. Pourquoi donc? Selon l’andrologue Jean-Claude Soufir dans des propos rapportés par France Culture, bien qu’efficace, la méthode ne peut être utilisée que sur une période de 18 mois, selon les recommandations de l’OMS. Des études à plus long terme sont nécessaires pour connaître les différents impacts possibles sur la santé. Le suivi est contraignant et demande de fréquents spermogrammes pour vérifier la quantité de spermatozoïdes. Les effets sont longs à se faire sentir et le retour à la fertilité prend du temps à revenir également (3 mois).
Le docteur Soufir estime aussi qu’à l’époque, les systèmes de santé sont préoccupés par le sida, ce qui met de côté les recherches sur le sujet. De plus, les compagnies pharmaceutiques investissent depuis longtemps dans un marché qui n’existe pas encore: celui des contraceptifs féminins. Ce marché demeure, depuis, très lucratif et plutôt saturé. Investir dans un contraceptif masculin est alors beaucoup moins intéressant, parce que probablement beaucoup moins payant. De plus, avec les années qui passent, les critères se resserrent de plus en plus pour pouvoir de 1) tester un produit sur le public et de 2) le commercialiser. Disons qu’on est loin des années 50 où l’on avait pas à demander le consentement aux patient.es, ni même à dévoiler les véritables raisons d’une étude scientifique…
Ce qui existe actuellement
Nous voici donc en 2020, année où existent les méthodes contraceptives suivantes:
- L’abstinence;
- Le retrait ou coït interrompu. Il n’est pas fiable, car le liquide pré-éjaculatoire peut contenir des spermatozoïdes;
- Le condom. Mais le port du condom doit encore être négocié avec la personne avec qui les personnes de sexe féminin ont des relations sexuelles. Et il peut se briser;
- La vasectomie, qui est une méthode plus définitive, mais pas irréversible. Par contre, pour inverser le processus, c’est complexe, coûteux. Et il n’est pas garanti que la fertilité revienne. D’ailleurs, selon Radio-Canada, le Québec est le champion du monde des vasectomies avec ses 13 000 vasectomies par année.
En France, certaines personnes utilisent la contraception masculine thermique. C’est-à-dire l’utilisation d’un sous-vêtement adapté qui augmente la température des testicules. Mais il ne s’agit pas d’une méthode reconnue par l’OMS.
Ce qui s’en vient
On parle beaucoup du Vasalgel, un produit polymère injecté dans le canal déférent pour bloquer le passage aux spermatozoïdes. L’inquiétude première face à ce produit est la réversibilité du processus. Mais des tests concluants ont été effectués sur des lapins et, également, sur des singes. Des tests doivent se poursuivre sur de plus grands animaux et, bien sûr, sur des humains. En janvier 2019, la fondation Parsemus, qui est derrière les recherches sur le Vasalgel, annonçait avoir reçu un financement de 200 000$ pour aller vers des essais cliniques sur les humains. Ce sera donc à suivre.
Similaire au Vasalgel, il y a aussi la technique RISUG (Reversible Inhibition of Sperm Under Guidance) qui est actuellement testée en Inde. Le produit injecté pourrait être efficace pendant 13 années. Si au départ, et de l’avis même des chercheurs sur le projet, on le voyait plutôt comme une alternative à la vasectomie, il semble que les choses ont évolué. En effet, la première partie du traitement, l’injection pour bloquer le passage au spermatozoïdes, est efficace. Mais la seconde partie, une injection pour dissoudre le premier produit, devait être testé pour prouver la réversibilité du processus. Il semble qu’à l’heure actuelle, ça y est. Reste que de nombreux tests sont encore à faire et des études à long terme doivent être organisées pour s’assurer de l’efficacité et la sûreté du contraceptif.
La pilule, c’est pour quand?
Les yeux sont également tournés vers les États-Unis. Plus précisément sur l’équipe de l’endocrinologue Stephanie Page à l’Université de Washington. Elle travaille sur la conception de deux types de contraceptifs: un contraceptif oral qui contient de la dimethandrolone undecanoate (DMAU), un combiné d’androgène et de progestatif et une autre, une composante «sœur» de la précédente, qui contient de la nortestostérone dodécylcarbonate. Comme le disait la collègue Sarah Fontaine au micro de Moteur de recherche en janvier 2019, ces pilules pourraient faciliter le processus contraceptif – plus que les injections de testostérone, par exemple – en proposant un seul comprimé à prendre par jour. Mais, sans surprise, des études doivent encore être approfondies pour s’assurer du bon fonctionnement de la chose. Et, surtout, des effets à long terme.
Bref, on approche, mais on n’y est pas tout à fait encore. Pour y arriver, il faut que les études se poursuivent et ça coûte énormément de sous. Il faut aussi qu’il y ait un intérêt suffisant pour les compagnies pharmaceutiques d’investir dans un tel produit. Et, bien sûr, une implication des personnes de sexe masculin à prendre part à ce partage de la charge mentale qu’est la contraception. Sans oublier les enjeux importants face à la liberté des personnes avec un utérus qui peuvent, par la contraception, garder un contrôle sur leur corps et leur fertilité. Et ça, ça soulève aussi tout un autre pan de cette fameuse contraception masculine qui amène des questions non seulement scientifiques, mais aussi éthiques, sociales et culturelles.
*J’utilise les références «hommes» et «femmes» pour être fidèle aux écrits scientifiques consultés et aux appellations utilisées à l’époque.